Une fois seulement Matthew s'était-il essayé au difficile exercice de l'auto-portrait. Peintre médiocre tout au plus, il avait été plus déçu par l'aspect caricatural de son dessin que par la technique de son coup de pinceau qui laissait à désirer. Comme la plupart de ses semblables, il s'était avant tout focalisé sur ses défauts – ou sur ce qu'il considérait être des défauts.

Pour ses pommettes saillantes, il avait dessiné deux triangles bien trop obtus et sombres. Pour ses joues creusées, à l'inverse, il n'avait presque pas touché à la toile. Si le contraste habillait effectivement son visage, il n'était pas aussi prononcé que son dessin aurait pu le faire croire. Il avait réussi à rendre honneur à ses petits yeux bleus-gris en amande, mais il n'avait pas pu s'empêcher d'accentuer ses cernes de gros traits noirs et gras. À sa décharge, il était vrai qu'il souffrait d'un manque de sommeil chronique. Son nez long et un rien écrasé était devenu, sur sa toile, une tâche informe, soutenue par une bouche aux lèvres fines. Le tout donnait à ce clown triste un air pathétique.

En réalité, Matthew n'avait rien d'un monstre. Il n'était qu'un homme au visage relativement équilibré et aux mâchoires carrées, un homme dont pouvait émaner – selon qui le regardait – un charisme latent ou un désintérêt insultant. Un air de négligence travaillée renforcé par ses cheveux de jais aux reflets caligineux.


Établir son propre profil psychologique est pour un psychologue l'exercice le plus difficile qui soit. Après ses refus successifs de consulter un collègue, Matthew s'était résolu à essayer de se cerner. Connais-toi toi-même, avait-il écrit en haut d'une page vierge. « Sain d'esprit », avait-il commencé à écrire avant de lister la plupart des choses qui lui passaient par la tête.

Matthew se savait extrêmement calme. Trop calme, d'après sa mère. Aucune situation ne semblait réellement le toucher, du moins pas frontalement. En réalité, cette distanciation volontaire avec la réalité était le symptôme d'un trouble anxieux généralisé, une pathologie assez commune mais potentiellement terreau de conditions plus alarmantes. Chez Matthew, ce trouble se caractérisait par un sommeil léger, une sur-intellectualisation permanente, un pessimisme constant et une relative froideur avec ses semblables. Ceci étant posé, il avait au moins réussi à faire de sa condition une force dans l'exercice de ses fonctions.

Matthew se savait également légèrement mégalomane. Souvent peu bavard, il n'aimait pas être contredit lorsqu'il se décidait à prendre la parole. Il était souvent partagé entre l'envie de sauver ses semblables des profondeurs de leurs esprits et celle de les laisser se noyer quand il faisait preuve de bêtise. Une réaction inadéquate avec son caractère de grand empathe. Peut-être, avait-il analysé, n'aimait-il simplement pas voir ses semblables se détruire alors que lui savait comment les sauver. Une sorte de syndrome du sauveur teinté d'autoritarisme.

Si lui se savait beaucoup de choses, peu nombreuses étaient les personnes qui connaissaient réellement le neuropsychologue.

Pourquoi n'écrit-on les biographies que des hommes et des femmes aux vies spectaculaires ? Pourquoi personne n'a-t-il jamais essayé d'écrire les épisodes d'une vie tout à fait banale, d'une vie sans surprises, si ce n'est celles que tout le monde reçoit un jour dans sa vie : une blessure, un décès, une rupture, un rejet. Une vie comme une autre, une vie comme celle de Matthew.