Nuit douce. Silencieuse. Calme, même. Loin du Mur. Loin des Laboratoires. Le ciel est étoilé, comme chaque nuit. Comme sur Terre. Les étoiles ne sont pas différentes, d’ailleurs. Elles sont seulement vues d’un autre point de vue. Seulement, ici, il y a deux satellites, qui ne portent pas encore de véritables noms. Aussi grises que la Lune. Puis, à l’horizon, brisant la fusion du ciel et des eaux, l’anneau se voit. Sûrement que les plus grands rêveurs ne pouvaient espérer mieux. Pourtant, à cette vue idyllique, comme un rappel cinglant, l’Avalon déchirait encore le ciel et la mer.

Les mains dans les poches, celui qui déambulait les nuits avançait lentement mais sûrement vers la Jetée. Au loin, dans la Cité, il était possible de voir le Centre Administratif, mais aussi d’autres bâtiments aussi importants les uns que les autres. Ici, sinon le bruit de l’eau, il n’y avait aucun bruit. Loin des chants des oiseaux de la Terre. Loin des cris et appels des marins. Dans cette Cité en construction, tout le monde oubliait la Terre. Mais il n’y arrivait pas encore entièrement. Pas après ce qu’il avait laissé. Et, ce soir-là, il n’était pas le seul à chercher la quiétude des lieux. Il souriait, s’approchant de l’âme perdue en cette nuit. Son regard ne se portait pas directement sur la personne mais bien sur l’infrastructure géante endommagée. L’Avalon.

_ Difficile de se dire que ça ne bougera plus, quand même ! » Il n’était pas exactement songeur alors qu’il disait cela. C’était bien la réalité. Ils étaient coincés là, sans aucun moyen de communication avec la Terre. « En plus qu’il y a encore tellement de monde qui y dort ! Nous ne sommes qu’une poignée de chanceux déjà éveillés, l’air de rien. » Et il rit pour lui-même. Aucune nervosité dans sa voix. Passant une main dans ses cheveux, il se tourne finalement vers l’autre.

_ Dave. Enfin, David en réalité ! Mais plus personne ne m’appelle comme ça depuis bien longtemps ! » Tendant sa main alors qu’il se présentait à l’autre, il continuait encore. « Je pensais que j’étais le seul à connaître ce lieu, en fait ! »

David souriait. Tendrement. Posément, même. Il aimait la Nouvelle Avalon, à sa façon. Il aimait les journées où le travail n’arrêtait pas. Il aimait aussi ces nuits où il prenait alors le temps de se souvenir. La Terre. Mais aussi le chemin parcouru à travers les étoiles durant sa stase. Mais, parfois, son esprit oubliait déjà son arrivée. Cette sortie au grand jour alors qu’il prenait le vaisseau qui le conduisait sur la terre ferme. Sur ce continent encore vierge, à première vue, de toute vie intelligente, sinon ces espèces et cette méga-faune, le plus souvent dangereuse.

Serrant la main de l’homme, il découvrait là un militaire, selon le grade qu’il se donnait. Caporal, disait-il. Khatri. « Khatri, hein ? Ce nom me dit vaguement quelque chose … », lâchait-il déjà pour lui-même. Une simple constatation. Comme un souvenir de son époque terrestre. Il souriait, écoutant encore l’autre qui, observant discrètement la bouteille, aimait boire un coup ou deux. Peut-être même qu’il avait déjà perdu ses esprits dans les brumes plus alcoolisées. Alors, le Scientifique haussait les épaules à la question du Militaire. « Pas vraiment. Enfin, si ! Comme tout le monde sur la Colonie, j’imagine que nous avons nos missions à accomplir. » Alors, il riait un peu plus, passant une main dans sa chevelure. « J’ai principalement été recruté pour mes compétences scientifiques. J’étudie surtout le terrain plus que je ne l’explore, en vrai. »

Puis se tournant vers l’autre, il ouvrait la main pour écouter à sa bouteille. Peut-être oserait-il finalement partager. « Et pas de Monsieur, en fait. Personne ne m’appelle comme ça. Juste Dave et ça irait déjà bien ainsi ! » David n’aimait pas les titres. Il détestait même quand sa mère l’appelait finalement par ces titres. Docteur. Il ne l’avait jamais été. Il ne l’était pas non plus en ces lieux vierges de l’Ancien Monde.

_ Par contre, vous n’auriez pas un frère scientifique, par hasard ? Ou un membre de votre famille ? J’ai un vague souvenir d’avoir travaillé avec un certain Dr. Khatri, mais c’était il y a quelques années, maintenant ! » Sourcils légèrement froncés, le Scientifique était principalement curieux. Est-ce que le Naik était un parent du Docteur ? Et se tournant finalement vers l’Océan sans fin, il prenait une longue inspiration. Curieuse rencontre nocturne, décidément.

David pouvait reconnaître les effets alcoolisés d’une boisson. Lui-même, encore sur Terre, avait souvent tenu ce discours décousu, presque incohérent. L’autre n’y échappait pas réellement. Et au vu de sa descente, et l’absence même d’une grimace, il n’en était peut-être même pas à sa première bouteille de la soirée, au point qu’il la confondait dorénavant avec de l’eau. Pourtant, il ne le jugeait pas, il en souriait même de voir un camarade aussi tranquille en cette nouvelle période de colonisation terrestre. Certains ne perdaient guère de temps à retrouver ce qu’ils avaient été sur la planète Terre, comme cela semblait être le cas pour le Caporal Khatri. Alors, à la première question de son camarade nocturne, il balançait sa tête de gauche à droite plusieurs fois.

_ Je n’ai pas eu la chance d’explorer, en réalité. J’aimerais beaucoup et j’envie nos Guerriers. Mais je suis plutôt au fond d’un laboratoire à comprendre ce qu’ils observent. Je mets des mots là où ils ne le peuvent. » Alors, il riait pour lui-même. « J’imagine que dans un siècle, on se souviendra plus de nos premiers Guerriers que de nos Biologistes qui étaient derrière eux. » Puis, à la réplique de l’autre, il ne pouvait pas s’empêcher d’exploser de rire. Et son rire se répercutait sur la Jetée, là où les deux hommes se retrouvaient, seuls, face à l’Océan Infini et l’Avalon Déchu. Alors, il ne pouvait s’empêcher de se rappeler cette vieille histoire terrienne, d’un temps lointain et dépassé depuis longtemps.

Oui, les Britanniques avaient colonisé, pendant un temps, une partie de la planète. L’Inde, le Canada et les Etats-Unis. Même l’Australie, s’il se souvenait bien de ses vieux cours d’histoire. « Ouais, je suis anglais. Enfin, j’imagine qu’on peut même en parler au passé, non ? Et vu comme vous en parlez, j’imagine que vous êtes né dans l’un de ces pays conquis par mes vieux ancêtres, c’est ça ? » Il ne le prenait pas mal. Si on lui avait dit qu’il aurait à discuter de ce genre de choses, qui l’aurait cru. Haussant les épaules, il s’était finalement détourné du vaisseau spatial, remettant ses mains en poche.

_ Ah oui ! Vivek Khatri, je me souviens. C’est votre frère, alors ? Sacré personnage quand même. Il était du genre à m’appeler en audio-conférence, depuis chez vous, alors qu’il était trois heures du matin à Londres. » Reprenant tranquillement sur le même ton posé, le Scientifique s’amusait de cette rencontre différente en cette nuit où il n’y aurait pas pensé. « Il est déjà réveillé, alors ? Il devient quoi, ici ? Je ne l’ai pas encore croisé dans nos Laboratoires, en fait. »

Uttar Pradesh. Était-ce le nom de l’armée dans laquelle il travaillait auparavant ? Ou était-ce … Une famille particulière d’Inde ? C’était assez compliqué à savoir, en vérité. Si l’Indien avait évoqué les anciennes colonies britanniques, le Scientifique, quant à lui, ne s’était jamais réellement intéressé à cette histoire. Ni même, en vérité, à l’Inde tout court. Autant dire qu’il n’y connaissait absolument rien. Avec cette discussion, il se rendait d’ailleurs compte que la Terre était finalement qu’une planète dont il ne connaissait pas grand-chose. Seulement intéressé par les animaux et les plantes, il n’avait jamais vraiment été plus curieux que cela par l’histoire de l’humanité.

Il haussait les épaules face aux dires de son camarade nocturne. Quel bien étrange personnage qu’il avait avec lui, l’air de rien. Il semblait comme … Lunatique, pire que lui d’ailleurs. Comme si l’ensemble des câbles s’étaient perdus et mélangés pour fournir à cet énergumène un discours parfois loin d’être rassurant et rationnel. S’entendait-il seulement ? Le Scientifique ne s’inquiétait pas. Chacun avait sa raison d’être là, les rencontres multiples s’en étaient assurés. Les Pionniers avaient été choisis avec soin. « C’est pas bien grave ! Je ne le connais pas exactement. Juste que nous avions travaillé à l’occasion sur un projet et cela aurait été agréable de le rencontrer pour de vrai et non par holo-conférence comme nous avions eu l’habitude. » Il souriait, amusé.

Puis il avait fait un geste de la main qui suggérait qu’il comptait le suivre vers la Nouvelle Avalon, la Cité en elle-même où le jour, comme la nuit, elle vivait. Différemment, certes, mais elle vivait encore et toujours, selon l’humeur des habitants. « Je vous suis pour cette bouteille, alors. J’ai bien envie de connaître votre secret. », riait-il à son aise. Il avait alors calé ses deux mains dans ses poches, posément, prenant place aux côtés de l’autre individu.

_ J’ai … J’ai laissé ma famille derrière, en réalité. Je suis venu seul, ici, un peu comme un nouveau départ, dirons-nous. J’avais une femme, enfin, ex-femme et une petite fille. J’ai décidé de tout lâcher quand j’ai entendu parler du nouveau projet. » Il marchait tranquillement au rythme de l’autre tandis qu’il évoquait son passé. « C’est étrange quand même, non ? Je veux dire … J’ai l’impression que je suis parti il y a une semaine. Mais cinq années sont passées pour mon corps. Et, surtout, mon ex-femme doit avoir quoi ? Plus de nonante ans, dorénavant ? Ma propre fille doit avoir une soixantaine d’années et j’ai possiblement de petits-enfants. Tout cela alors que je n’ai qu’une trentaine d’années. » Il souriait, amusé. Puis il s’était mis à rire face à cette situation. C’était finalement assez absurde ce qui lui arrivait actuellement. Loin de la Terre, tout était dorénavant si différent.